Les Adelphes de la Nuit from Danaé Jungers on Vimeo.

film/vidéo d’anticipation : une histoire qui se passe dans 5 ans. L’idée est, comme souvent dans les films d’anticipations, de parler de ce qu’il se passe maintenant en utilisant un future proche. Le choix des 5 ans est pour souligner l’urgence dans laquelle nous nous trouvons : les mauvais choix et décisions faites maintenant nous impacterons vite.

J’ai aussi voulu mettre en avant la relation individu/collectif. En gros, il y a d’un côté le personnage : jeune personne diplômée des beaux-arts qui ne sait pas comment s’en sortir (=l’impression de ne pas savoir qui l’on est, difficultés à trouver sa place dans une société) , et de l’autre côté tout le reste de la société et ses problèmes (= toutes les décisions politiques qui impactent tout le monde, ou du moins des groupes sociaux). Pour traduire cette idée, j’ai eu l’idée d’un dispositif avec deux projections simultanées : cf photo

D’un côté des images d’immeubles et de batiments qui représentent le « tout le monde » , la société de consommation et de construction , et de l’autre , notre protagoniste qui marche seule dans la nuit, sans but

 

 

Voix off :

   La nuit est lourde ce soir.
Elle m’enveloppe et je suffoque.
Je respire, je m’allonge.
Je me rappelle des nuits d’avant,
Je me rappelle de celle où les yeux rivés sur la vitre du bus je rêvais de m’envoler. Les montagnes miroitaient dans l’eau où les mâts des bâteaux dansaient déjà.
Je me rappelle du calme. Le silence réfonfortant.
Nous partions pour l’Italie.
Je me rappelle du sentiment que ce moment était déjà en train de m’échapper, si léger comme il l’était. Une sorte de nostalgie de la nuit qui m’a d’ailleurs toujours suivi après.
J’imaginais de grands regroupement de tous les gens qui ne dormaient pas, comme moi. De grands feux de joie où tout le monde se comprendrait sans se parler.
Où tout le monde aurait porter de jolis bijoux scintillants, leurs rêveries en talismans, des amulettes pour se proteger. Nous ne savions pas les maux qui nous attendaient.
Je me rappelle de cette nuit parce qu’elle était avant toutes les autres,
parce qu’elle a protégé toutes celles qui ont suivies jusqu’aujourd’hui.
Le bus est loin désormais.
Des montagnes je ne vois plus que les batiments qui me surveillent.
Du firmament et la poussière d’étoile, une trainée de poussières de lithium.
De mes rêveries, un vieux souvenir déformé, effacé presque oublié mais pas assez.
Les gens qui devaient me retrouver dans la nuit ne sont jamais venus, ils travaillent quelques part à l’usine, comme tout le monde à fini par le faire.
Comme tout le monde à dû le faire.
« La guerre nous avait jeté là. » , notre guerre n’est pas celle de Barbara mais il est certains que d’autres furent moins heureux je crois au joli temps de leur enfance.
Novembre 2028.
La nuit est lourde ce soir.
Elle m’enveloppe et je suffoque.
+
J’ai 25 ans, bientôt 26.
Je suis née en 2002. La génération new millenial, la gen Z.
Je n’ai jamais connue le franc ou les minitels et honnêtement je me rappelle difficilement des 20 chaines de la tnt.
Il y a encore cinq ans, cette génération était considérée comme étant celle qui pourrait et allait tout changer.
Je nous entends encore crier : on est jeunes deters et révolutionnaires !! (son qui monte et 1 minutes de brouhaha en mode gros trip)
blanc
Je me rappelle de ce mardi où le lycée avait été envahit.
Je me rappelle des fumigènes bleus dans les couloirs.
Des adultes en costume très sérieux qui nous bloquait l’accès aux salles où étaient fait prisionniers nos camarades.
Je me rappelle des hurlements de rage contre tant d’injustice : les cris des jeunes de 17 ans ne se fatiguaient jamais face à l’injustice.
Je me souviens d’avoir escaladé tant de fois les grilles de l’internat.
(image de jeunes qui court en ralenti en se bousulant)
Je me souviens de l’annonce publique : nous avions gagné.
Sentiment de satisfaction intouchable, sentiment d’appartenance à quelque chose, un groupe, un mouvement, sentiment d’être d’une utilité quelconque, le sentiment de pouvoir lorqu’un droit est respecté.
C’est sûrement le même élan d’un monde meilleur qui m’a fait aller au Beaux-Arts.
Je ne sais plus très bien quand tout a dérapé mais je me rappelle de la première fois où j’ai eu peur de ce qu’il se passait.
J’étais en première année.
C’était l’époque où nous alertions entre confinement et couvre feu.
Il était interdit de sortir entre 18h et 6h du matin.
On nous a volé la moitié de notre temps pendant des mois.
J’ai fait un drôle de rêve à cette époque là
Je marchait à Quimper, dans la rue Kéréon
J’avais l’habitude de passer par là,
et je marchais je marchais jusqu’une petite maison
devant laquelles quelques femmes semblaient se cacher
Elle me faisaient signe d’entrer,
nous étions de crs encerclées
Elles me font monter sous les toits
elles répétaient : chhhhut ne parle pas
La police était rentrée et essayait de nous parler
« Nous ne sommes pas armés »
je regardai par l’oeil deboeuf et sans surprise : ils l’étaient.
Ils voulaient nous charger
et je suis presque sûre qu’ils voulaient nous tuer
[montée et puis silence sec] + image de quelqu’un devant une porte, lumière blanche genre spot, tout vide sans objet, la personne regarde par l’oeil de boeuf.
C’est le sentiment d’injustice qui gratte la chair, fait vomir la bile à 8h du matin, donne le sentiment de la defection immédiate.
Cette peur ne s’est pas estompée dans le temps puisque les années qui ont suivies sont les années 49.3.
  « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ».
Article 49 alinéa 3
    Constitution
Les manifestations brûlaient dans la moitié du pays.
Mais les vieux bonhommes étaient trop concentrés à compter leur écus.
Les yeux obnubilés par l’argent des pauvres plutôt que celui de la fraude fiscale.
Ils sont là quatrième escale du petit prince [ma voix+la voix d’un homme en superposé extrait du petit prince]
– Millions de ces petites choses que l’on voit quelquefois dans le ciel.
– Des mouches ?
– Mais non, des petites choses qui brillent.
– Des abeilles ?
– Mais non. Des petites choses dorées qui font rêvasser les fainéants. Mais je suis sérieux, moi ! Je n’ai pas le temps de rêvasser.
– Ah! des étoiles ?
– C’est bien ça. Des étoiles.
– Et que fais-tu de cinq cents millions d’étoiles ?
– Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. Je suis sérieux, moi, je suis précis.
– Et que fais-tu de ces étoiles ?
– Ce que j’en fais ?
– Oui.
– Rien. Je les possède.
– Tu possèdes les étoiles ?
– Oui.
Et même moi, qui croyait dur comme fer à ma carrière d’artiste.
Finalement j’ai travaillé les champs de myrtilles traités au glyphosate, les pommes de terre rongées de nouvelles maladies inconnues, j’ai vendu tout un tas de choses et puis quand j’ai compris que tout irait de mal en pis, je suis partie à l’usine.
C’était 2 ans après que Nestlé ait racheté la moitié des entreprises locales et fait couler toutes les autres.
J’ai beaucoup pleuré la mort du service public.
Notre école a été racheté par un starbucks, mon café préféré par Basic Fit.
Toutes les écoles d’art publiques ont été démentlées en même temps que la radio et les chaines tv publiques, les soins sont devenus payants, l’éducation aussi évidemment puisqu’ils ne restait plus que les privés.
Tous les endroits où l’opinion pouvait être exprimé était morts.
Plus personne n’avait les moyen de se faire soigner, nous étions soit malades, soit fous.
Et même la rue était devenue hostile tant les lacrymogènes et tirs de lbd étaient devenus fréquents.
L’opposition ne pouvait plus exister.
L’opposition était le prolétariat, et le prolétariat était en famine, recrocvilés sur ses côtes.
L’opposition est morte.
L’heure défile.
La nuit m’étouffe toujours autant.
C’est absurde.
Je devrais me sentir enfin libre.
J’ai démissioné il y a deux heures.
Mais je ne sais pas où aller.
Il n’y a plus aucune place que je voudrais prendre dans cette société.
Je ne veux plus de mon statut
Je ne veux plus de mes problèmes de pauvres
Je ne veux plus de ma position de femme
Je ne veux plus de ces métiers à la cons pur manger deux grammes d’ogm
Je ne veux plus de mon visage triste, mes cernes jusqu’au sol, mes muscles engourdis et ma non réception aux sentiments tant que la fatigue est grande.
Je ne veux plus entendre l’appel à l’aide de ceux qui ont vrillés
Je ne veux plus du jingle des pubs pour une vie meilleure que je connaitrai jamais.
Je ne veux plus de l’idée oppressante, omniprésente et insuportable que la vie aurait pu être différente si une poignée de personne avait ouvert leur fenêtre.
Je veux retrouver le bus, la nuit crystalisée.
Je veux retrouver les montagnes, la mer et les bâteaux.
Où êtes vous camarades?
Pourquoi n’êtes vous jamais venu au milieu du lac,
au milieu de la nuit
J’y avais déposé des lanternes,
j’y avais fait brûler de l’encens,
Où êtes vous adelphes de la nuit?