Paysages, 2012, Reynald Drouhin
Impression dos bleu, 540 x 180 cm et 450 x 180 cm.
Tirage photographique disponible en 5 exemplaires en 135 x 45 cm et 112 x 45 cm. (Diasec ou encadré)

« PAYSAGES » REYNALD DROUHIN (2012), Texte Carole Rinaldi

Avec ces deux réalisations monumentales, Reynald Drouhin transforme les paysages de la Beauce et du Perche en mélangeant leurs temps et images. Les images qui composent ces œuvres sont en effet issues de plusieurs sources que l’artiste a patiemment collectées; comme des images d’archives et des captures de Street View extraites de Google Earth. L’artiste numérique a ainsi prolongé son sujet avec les images du Web en utilisant la mémoire d’Internet ; confrontant cette mémoire digitale au paysage réel qui n’a de temps et de sens que celui de sa propre contemplation. Et c’est ainsi la mémoire d’un paysage commun qui défile, devenant paysage-fantôme grâce à l’emploi par l’artiste d’un filtre infrarouge destiné à rendre ces images plus étranges et fantomatiques. Reynald Drouhin parvient ainsi à créer une vision panoramique de ce qu’est, fut et serait la Beauce et le Perche. Visions éphémères toutefois, car ces deux œuvres sont vouées à disparaître une fois l’exposition terminée. L’artiste utilise le principe des mosaïques numériques dans plusieurs de ses œuvres pour délier son sujet et mieux en exprimer l’unité en le contournant puis en le recomposant image par image. « There are images I need to complete my own reality » (« Certaines images me sont nécessaires pour parfaire ma propre réalité ») écrivait James Douglas Morrison. Il semble que l’artiste ait cherché dans ce travail à compléter lui aussi le réel qu’il a lui même observé ; tout comme L’un est le multiple et le multiple est l’un. Ainsi, en utilisant des archétypes de la photographie de paysage comme l’herbe verte, le ciel bleu, les clairières et les moutons dans le Perche, l’artiste leur donne une teneur plus dérangeante en introduisant un personnage en carton dont on sait lire la présence dramatique dans la Beauce. Comme pour rappeler au spectateur que finitude et impermanence peuvent côtoyer le caractère intemporel de ces paysages. Mais il sait aussi jouer sur les proportions en créant un rapport unique à la verticalité et à l’horizontalité qui s’exprime ici dans ces œuvres. Avec ses deux tiers de nuages, le paysage de la Beauce semble écrasé par ses cieux assombris par l’infrarouge, contrastant avec celui du Perche qui offre au regard une véritable respiration avec ses deux tiers de forêts qui donnent clarté et oxygénation à l’image immobile. Piet Mondrian avait en son temps élaboré des tableaux qui repensaient la notion de paysage en y introduisant des formes géométriques. Océans et arbres étaient alors représentés par des traits horizontaux et verticaux. Pour élaborer ses œuvres, Reynald Drouhin a cherché lui aussi à dénaturaliser son sujet et ce sont ici deux visions du paysage qui s’expriment ; l’éloignant toujours plus de la teneur romantique qu’on peut lui attribuer. Dans une sorte de divisionnisme numérique, l’artiste a cherché à introduire des espaces vides dans ces espaces figés. Il semble ainsi que le paysage lui-même se soit interrompu, interdisant au spectateur d’embrasser sa totalité, comme pour lui rappeler que tout paysage représenté reste un extrait, un échantillon et une lucarne dans un ensemble qui constitue un tout plus vaste et finalement incommensurable. Ainsi, alors que l’homme se croit au centre du monde et il l’est, en effet, en quelque sorte dans la construction même des paysages qu’il a élaborés, « en poète l’homme habite le monde » comme l’écrit Hölderlin. Formes anthropomorphiques dans les nuages informes, mais aussi divinités des montagnes et forêts constituent autant de présences invisibles dans l’imaginaire des civilisations et si l’art a cherché à traduire le mystère et la vérité des paysages en cherchant comme les impressionnistes à restituer le plus précisément possible la beauté de leur lumière dans l’instant, il persiste dans cette entreprise une sorte de quête infinie et profonde face à l’immensité. L’art numérique peut ainsi lui aussi explorer la thématique du paysage en retravaillant les images de ce monde flottant, celui-là même que les artistes peintres allaient explorer dans leurs toiles en peignant à corps perdu leur propre observation de la nature. Les œuvres traversent les époques et l’espace et sont les spectres du temps dans ce grand panorama au caractère accessible et inaccessible qu’est le paysage.

Exposé dans le cadre de :
Exposition Images // Paysages
Histoires des représentations du territoire
du 13 avril 2012 au 30 décembre 2012

Voir article sur The Creators Project : Reynald Drouhin fragmente des paysages ruraux