Architecture des camps

Architecture des camps Clémence Desseauve  Références abri

A l’air de l’Anthropocène, béton, goudron et acier ont à tout jamais bouleversé le paysage, désormais urbanisé : selon l’ONU, près de 70 % de la population mondiale vivra en ville d’ici 2050 contre « seulement » 55 % aujourd’hui.
Ce bon de 15 % en 30 ans induira des déplacements des populations des campagnes vers les villes, et plus largement de d’autres pays. Ces mobilités vont d’autant plus augmenter que les catastrophes naturelles dues au réchauffement climatique vont s’accélérer, tout cela doublé des guerres et conflits qui obligent des milliers de personnes à fuir leur territoire dans l’urgence. 

Cette urgence engendre une mobilité précaire, dangereuse, parfois illégale. Les exilés redoublent d’inventivité pour détourner le peu d’affaires et de matériaux qu’ils possèdent ou bien qu’ils trouvent sur place afin de se construire un abri. L’abri les protège des aléas, il est l’écart entre leurs corps et un environnement potentiellement hostile, mais le confort y est mis entre parenthèses. 

Actuellement plus de 75 millions de personnes dans le monde sont en situation de déplacements forcés, dans un entre-deux où elles n’ont ni racines, ni ancrage, plus aucune identité. 

Michel Agier dans Un Monde de camps observe un « encampement du monde » : ces populations habitent le mouvement, et les camps se multiplient et se banalisent sur tous les territoires. Les exilés subissent le voyage et sont contraints à survivre dans une mobilité sans fin : « habiter le campement, c’est s’abriter dans un habitat temporaire qui peut durer » 

Habiter le campement, Cité de l’architecture et du Patrimoine,
Fiona Meadows, directrice de l’ouvrage,
édition Actes Sud/Cité de l’architecture & du patrimoine. 

De nombreux architectes cherchent à apporter des solutions à cet encampement du monde, en proposant des structures peu coûteuses, facilement et rapidement démontables, dans le but d’apporter une réponse plus « confortable » aux populations éxilées. 

Je me suis intéréssée au travail de l’architecte Shigeru Ban, qui utilise les vertus du carton pour réaliser des bâtiments. En effet, les « papiers tubes », des rouleaux d’épais carton à base de papier recyclé, sont bon marché et peuvent être fabriqués dans presque toutes les longueurs, tous les diamètres et toutes les épaisseurs. Shigeru Ban parvient à en extraire un composant structurel capable de supporter des charges lourdes et de développer de vastes ossatures de carton. 

En 1994 il participe à la réalisation d’habitats d’urgence en marge des camps de réfugiés lors de la guerre du Rwanda : il devient un « architecte de l’urgence ». Grâce au carton, à ses propriétés, à sa légèreté et à la rapidité d’assemblage des modules, ces architectures deviennent très vite une alternative à d’autres types d’hébergements d’urgence, souvent plus précaires, moins bien isolés ou encore trop coûteux.

Les réfugiés et les bénévoles montent rapidement les 26 abris (il faut à peine 8 heures pour construire 6 logements) grâce à la simplicité des notices, modifiant parfois des détails pour mieux se les approprier.

Montés sur des caisses à bière en plastique remplies de sacs de sable qui en assurent l’étanchéité et l’assise, les murs en tubes de carton sont reliés par des tiges métalliques boulonnées et portent une simple charpente soutenant une toile. 

Les fondations de ces abris m’ont interpellée ; le sable a des propriétés isolantes certes, mais je me suis demandée si des sacs pouvaient réellement être à la fois résistants et malléables.
J’ai réalisé différents tests en utilisant des matières qui pouvaient me paraître suffisamment solides pour contenir du sable : le plastique d’enrubannage et le polypropylène. 

L’enrubannage est l’un des procédés de conservation, adapté à tous les types de fourrages. Contrairement aux foins, l’herbe est enrubannée de façon précoce par 4 à 6 couches de films plastiques. Privé d’oxygène, le fourrage ainsi conservé peut rester en extérieur. Il s’agit donc d’un plastique élastique, adhérent et résistant aux ruptures.

Les sacs Big Bag en polypropylène non laminé (dimensions standards: 90 x 90 x 110 cm), sont étanches et peuvent supporter jusqu’à 1500kg.

Paper Log House

Même si mes sacs de sable en plastique d’enrubannage et en polypropylène sont de petite taille (entre 20 et 30 cm de largeur), j’ai été surprise par leur malléabilité (comme du tissu) et par leur solidité, surtout pour le polypropylène. Les sacs Big Bag sont très utilisés sur les chantiers pour transporter des matériaux ou pour récupérer les gravats ; je suppose donc qu’ils doivent être présents sur plusieurs camps puisque ces derniers sont en perpétuelle évolution et ont toujours besoin de nouvelles structures en dur. Les Big Bags pourraient être plus largement réutilisés afin d’apporter des solutions d’étanchéité aux bâtiments à la manière de Shigeru Ban (en utilisant du sable ou de la terre sèche sur place), ce qui serait à la fois une réponse plus mobile et qui impacterait moins le paysage car plus réversible.

En continuant mes recherches sur cette méthode des sacs étanches pour des fondations de bâtiment, j’en suis venue à me demander s’il était vraiment pertinent d’utiliser du sable, car il s’agit d’une resource qui va très vite souffrir de pénurie. En effet, selon la Yale School of Forestry and Environmental Studies, l’extraction de sable est la plus grande entreprise minière au monde, responsable de 85% de toute l’extraction minière. Le sable sert énormément en construction car il est à la base de la fabrication du béton et du mortier. 

L’extraction de sable dégrade considérablement notre environnement :
– Elle modifie le débit des cours d’eau, rivières, abaisse les nappes phréatiques et draine les zones humides.
– Elle menace des espèces animales et végétales.
– Elle déclenche l’érosion côtière et efface la terre : depuis 2005, au moins deux douzaines d’îles indonésiennes ont disparu, leur sable finissant dans des paysages artificiels à Singapour.
– Elle menace la vie humaine en raison de l’effondrement des berges des rivières et de la violence des avalanches de sable. Elle nous rend plus vulnérable aux conséquences des tempêtes et tsunamis. 

Il existe toutefois une technique étonnante utilsée par le designer Chris Kabel pour sa chaise Seam Chair : du polypropylène tissé est rempli de sable et placé dans un four, après la cuisson le sable est retiré et laisse une structure creuse et solide.

Je ne sais pas quelles sont les limites de résistance de ce procédé, mais le sable retiré peut être réemployé. Cette mise en forme du polypropylène n’a toutefois pas une empreinte carbone très bonne puisque la cuisson dans des fours à gaz rejette pas mal de Co2. 

Après ce petit tour d’horizon de solutions de construction des abris provisoires des camps, je retiens donc qu’une divergence est présente dans l’architecture des camps entre une durabilité des matériaux employés (d’un point de vue environnemental) et une réponse rapide, peu coûteuse et réversible, qui a du mal à complètement se détacher des procédés de construction actuels.