Annabel Aoun Blanco est née à Paris, d’origine Franco-Libano-Vénézuelienne, elle vit et travaille à Paris.

[…] L’œuvre d’Annabel Aoun Blanco s’inscrit malaisément dans le genre du portrait auquel, de prime abord, on est pourtant tenté de la rapporter en contemplant ses tableaux photographiques ou ses vidéos. Apparaissent des formes de visages, aussi imprécis que des empreintes ou livides ainsi que des moulages, impressionnants dans leur expression et attirants par l’énigme qu’ils recèlent, comme s’ils illustraient de façon littérale la célèbre pensée de Pascal : Un portrait porte absence et présence, plaisir et déplaisir (Pascal, Pensée 678, Ed Brunschvicg). Par là même, les modèles qui ont servi à réaliser ces portraits semblent plus imaginaires que réels, ce sont des masques rappelant tour à tour des spectres, des momies, des fantômes en fonction du traitement subi avant les prises de vue ou parfois de vrais visages affranchis de leur personnalité, comme dans la série Avatars .

La raison d’être de tels portraits n’est pas l’affiche d’une identité, mais bien plutôt la mise en évidence du mode d’apparition des figures qu’ils révèlent, le portrait n’ayant plus d’autre fin que celle de réfléchir la portraiture dans sa complexité et dans son rapport avec la mémoire. Ce qui intéresse tout particulièrement Annabel Aoun Blanco c’est la souvenance, la façon dont l’image des portraits, fixe ou animée, rappelle cette représentation inconstante et fragile visée dans l’acte de se souvenir. Voilà pourquoi les modèles vivants n’apparaissent qu’au tout début de son œuvre, s’éclipsant pour laisser la place à des empreintes directes, à des masques, à des sujets qui sont déjà des images.

Tout le dispositif plastique mis en œuvre par l’artiste est orienté vers une phénoménologie du souvenir, la photographie ou la vidéo rapportant, selon un régime de visibilité variable, les impressions fugitives saisies lors des actes de remémoration. On peut remarquer au moins deux modalités d’apparition et de disparition de ces images fugaces. […] Robert Pujade

 

Algumènes, Tirage Fine Art contrecollé sur dibond, sous diasec, anti-reflet, 40×40 cm, 2014, série de 6 photographies

Le Cri, Tirage Fine Art contrecollé sur dibond, encadrement chêne, 55 x 45 cm, 2016, série de 3 photographies

Algumènes
Si ces chevelures et ces visages s’offraient en entier, ils n’auraient que leur beauté individuelle à offrir, celle que la nature leur a accordé. En revanche, totalement immergés, ils appartiendraient au néant. L’état qui leur a été choisi, mariage entre l’état liquide et l’état solide, crée une richesse de détails, une délicatesse de tons qui nous fait glisser dans l’intimité de l’être. L’engloutissement liquide se le dispute à la résilience physique, le figé au dynamique, le mortifère à la grâce. La dynamique ne se situe plus dans la détente musculaire et la plastique des courbes, mais dans la fragilité du détail dans son mariage avec l’élément liquide.

Nous sommes dans un entre deux telles des algues à l’étale, entre flot et jusant, avant qu’elles ne se révèlent dans leur totalité, ou au contraire ne disparaissent.

Le Cri
Le dispositif dont ces figures humaines semblent captives relève d’une réalité physique, alors que pour nous, spectateurs, nous percevons avant tout cet univers de façon mentale.

Un cri terrible résonne dans nos têtes à contempler les leurs, enfermées dans le silence que la réalité contraignante de l’embaumement établi.

Cette sensation de hurlement muet vient peut-être d’une indéfinissable trace visuelle de bâillonnement, laquelle contredit le principe même de l’embaumement. Ont-ils été enveloppés de bandelettes de leur vivant ? Vivant, le seraient-ils par hasard encore ?

Le cri muet vient de ce doute.
Si le rituel de l’embaumement, quelles que soient les civilisations, a toujours été une préparation du corps au voyage dans le silence de l’éternité, alors ce cri se prolonge d’autant plus qu’il ne peut s’éteindre.

Le Mandylion, tirage contrecollé sur dibond, caisse US chêne, 50×60 cm, 2015 / série de 9 photographies

Desvoilés, tirage contrecollé sur dibond, caisse US chêne, 40×60 cm, 2016 / série de 14 photographies